PORZH AR C’HOREJOU: FAÑCH BRETON HA MISTERIOÙ AR PENN ENEZ
Au Port du Korejou : le calvaire de Fañch Breton et le Mystère de la Presqu’ile
vous ne changerez jamais
vous qui détruisez tout ce qui n’est pas vous
nos yeux sont de pierre
nos cils sont de pierre
nos larmes sont de pierre
et nos fleurs sont de pierre
fleurs en forme de cicatrices bleues
fleurs des cascades
fleurs des marais
fleurs magnifiques et silencieuses
fleurs comme rais de lumière et comme grains mis à germer
dissolvant les débris calcinés de leurs paroles à la dérive
furtivement nous nous glissons sous l’écorce des troncs morts
dans la nacelle des arbres en fleurs
dans le salpêtre des jours d‘automne
pour célébrer les vents chorégraphiques et l’empreinte du soleil sur la rétine des fleuves
pour chanter la paix du matin
Paol Keineg, 1967 – Le poème du pays qui a faim (extrait) – Editions Traces
Nous sommes au pays des Abers, au pays Pagan, celui des naufrageurs et des légendes, sur la côte rocheuse, tourmentée et sauvage du nord du Finistère (« la fin de la terre »). En cette journée d’hiver, le vent souffle fort au Port de Koréjou sur la Presqu’ile de Penn Enez en Plouguerneau.
Le port de Korejou: un site riche d’histoire
Les herbes bruissent et ploient, courbant leur cime vers la terre, autour de l’ancienne maison en pierre des gardes du Korejou, vestige du système de fortifications et de surveillance du littoral, construit sous l’impulsion de Colbert, sous le règne de Louis XIV, de sinistre mémoire pour les Bretons. A côté de la maison de garde, qui deviendra ensuite jusqu’à la première moitié du 20ème siècle un lieu de stockage de soude produite à partir de la combustion des algues, les restes d’anciens fours à goémon se laissent deviner : s’étirant sur près de 45 kilomètres de côtes, Plouguerneau est en effet la capitale des goémoniers.
Au rythme de la massette et du gravelet, les sculptures d’un Calvaire prennent forme
A quelques mètres de là, une crête de statues énigmatiques se découpe comme un défi au temps, au vent et aux hommes, sur un talus de l’âge du Bronze, qui surplombe la route du bord de mer.
Entre deux rafales, on entend des sons métalliques et sourds d’instruments qui percutent la roche granitique. Ils résonnent comme des battements de cœur en un rythme régulier et hypnotique. Nous nous approchons. Nous apercevons la silhouette de deux hommes et d’une femme portant de grosses lunettes de protection, massettes et gravelets à la main, sculptant des pierres, modelant le granit, créant ce qui semble être un calvaire contemporain, à la fois d’hier et d’aujourd’hui mais intemporel.
Le socle de ce calvaire, taillé de main d’homme à la recherche des savoirs et de la sagesse de l’ancien temps, reflète tout le mystère de la Bretagne avec autour de lui la végétation tordue par le vent et les embruns, et son ciel nuageux déchiré par la chorégraphie des éléments.
Le Calvaire de l’Estran, une oeuvre monumentale de Fañch Breton et de ses compagnons
François Breton, dit Fañch Breton, est le concepteur de ce lieu mystérieux. Artiste aux multiples facettes, ayant longtemps exercé à Paris comme peintre et dessinateur, il est revenu sur la terre de ses origines. Depuis près de 15 ans, il dédie une partie de son temps à l’édification d’un calvaire au lieu-dit Penn Enez (« la presqu’ile ») en Plouguerneau (Plouguerne) en face de la grève de Korejoù. C’est un projet magistral: près de 300 statues doivent y être érigées. Ce calvaire, c’est le Calvaire de l’Estran. Néanmoins, sur certaines cartes, il est d’ores et déjà dénommé le Calvaire de Fañch Breton.
L’œuvre à laquelle Fañch imaginait au départ consacrer 10 années s’est installée dans le temps, son temps, notre temps. Elle est sans doute devenue l’œuvre de sa vie. Il ne s’imagine pas s’arrêter. La retraite n’est pas pour lui.
Fañch est aidé de quelques compagnons. Ainsi, Goulven Loaec, avec son style propre, se dédie lui-aussi au projet. Artiste dans l’âme, Goulven travaillait auparavant comme administratif dans une structure sociale. Lui aussi s’est ressourcé dans la sculpture des pierres. Imperturbable, une femme sculpteur poursuit de manière appliquée son labeur pendant que nous conversons.
Le lieu est ouvert à tous, promeneurs, spectateurs comme artistes. Au travers d’une rencontre, certains y laissent un commentaire, une pierre, un peu d’eux même. Un homme de théâtre vient de temps en temps installer ses écrits au milieu des statues du calvaire. Fañch accueille avec bienveillance ces intrusions artistiques que tentent de déchiffrer les visiteurs.
Tailleur de pierre, un travail physique qui soulage les plaies de l’âme
Fañch Breton dit ne pas trop planifier la forme que prendront ses œuvres. Ces dernières prennent corps au gré des mouvements de sa massette et de son gravelet. Il parle de cette statue à visage humain qu’il avait travaillée en position couchée : « Pendant longtemps je ne la voyais pas ; les visiteurs ne voyaient pas non plus. Ils croyaient que c’était un crocodile. Ils ne voyaient rien. Ils ne voyaient que l’apparence des choses. Quand je l’ai redressée, les gens l’ont vue. Et moi-même je l’ai découverte. La sculpture, je ne l’ai vue que lorsque je l’ai redressée ». Comme dans la vie la fin n’est pas écrite ; elle reste encore à découvrir.
Des particuliers lui ont fait des commandes de sculptures, parfois dans le but d’honorer la mémoire de personnes aimées ou bien pour soulager des plaies de l’âme. Fañch se défend de disposer de pouvoirs surnaturels ou de thaumaturge. Mais ses statues ont le pouvoir d’apaiser les souffrances personnelles.
Si le travail de tailleur de pierre est un métier très physique, Fañch précise que ce labeur l’apaise. Le cadencement des gestes, la répétition hypnotique du bruit de la massette percutant à rythme régulier le bout du gravelet permet à l’esprit de se rasséréner. Et cette transe quasi shamanique donne des apparences humaines à la pierre granitique comme autant de totems porteurs d’espérances et d’émotions personnelles dans lesquels chacun trouve son compte.
Fañch me montre ainsi la statue un peu rugueuse d’un homme croisant les bras face à la mer. La statue est placée à l’écart du calvaire, près de la maison de garde. L’homme regarde au loin avec ce qui semble un regard décidé. C’est une représentation de son père défunt. Fañch ne se rend jamais au cimetière. Il préfère visiter l’âme de son père à travers sa représentation granitique qu’il côtoie tous les jours.
Comme son œuvre, Fañch Breton est un homme libre
Le terrain appartenait à la grand-mère de Fañch. Il est localisé sur un ancien oppidum. Entre les fortifications de Colbert et la maison des goémoniers, le lieu est chargé d’histoire.
Comme son œuvre, Fañch est un homme libre.
Son projet est noble et respectueux. Chacun devrait s’en convaincre. L’ intemporalité du Calvaire se fond naturellement dans le paysage et dans l’imaginaire de tout un chacun.
Un dialogue semble s’instaurer entre les personnages de pierre
Certaines des sculptures du calvaire racontent des vies ou des tranches de vie. Ainsi l’un des bas-reliefs de Fañch Breton représente un bateau par temps calme, puis le même bateau dans la tempête, puis enfin le naufrage de ce bateau. C’est l’allégorie d’une existence, celle d’un ami marin qui après une vie heureuse, a traversé bien des épreuves avant de décéder.
Chaque sculpture est unique et se distingue des autres, constituant une sorte d’Ex-Voto. Pourtant, toutes paraissent s’assembler de façon cohérente comme si un dialogue s’instaurait entre les personnages de pierre, comme une pièce de théâtre en train de se jouer sous nos yeux.
Quelques financements plus que bienvenus d’entreprises et de particuliers
Quelques entreprises et des particuliers ont contribué aux financements de cette œuvre collective. Des fonds sont recueillis par l’Association du Calvaire de l’Estran. Fañch a bénéficié de la générosité de quelques donateurs pour l’aider à débuter son projet de longue haleine. Il évoque aussi cette amie, plutôt fortunée, qui lui avait commandé une haute statue de la Mère à l’Enfant pour la mettre dans sa propriété. Fañch l‘a convaincue d’exposer la statue aux yeux de tous. Comme une Vierge à l’Enfant, la statue est désormais placée devant l’église de Lilia Plouguerneau. Bien qu’imposante, sa réalisation n’a pris que deux mois. Fañch précise que la taille de ses œuvres n’est pas nécessairement en rapport avec la durée de leur réalisation.
Sous les traits d’une femme, Saint-Tariec protège le site des assauts de la mer
L’une de ses œuvres qui figure aujourd’hui sur le calvaire était à l’origine sur une petite ile au large. Malheureusement, la statue s’est brisée sous les coups de la tempête et Fañch dû en sculpter une autre plus solide. L’originale est désormais à Korejou.
Un peu à part du calvaire, sur la pointe dominant la mer, se dresse la statue de Saint-Tariec. Il s’agit d’un moine d’origine irlandaise et Saint-Breton armoricain non reconnu par l’église catholique. Fañch l’a sculptée il y environ 8 ans. Il lui a donné les traits d’une femme. Fañch précise : « Cette sculpture à la pointe, elle est là pour protéger la péninsule des assauts de la mer. Cela représente beaucoup de travail. Il a une allure féminine parce qu’il n’y a que la femme pour assurer une telle protection ». Et Fañch d’ajouter avec conviction : « cela fonctionne ».
Voilà encore l’un des mystères de cet endroit battu par les vents et par les vagues. Il en reste certainement plein d’autres à découvrir.
Nous laissons Fañch et ses compagnons à leur oeuvre.
La Côte des Légendes n’a pas fini de nous dévoiler ses mystères. Nous reviendrons.
Comme les trois branches d’un triskell
Comme la mer, le ciel, et la Terre
Comme l’enfance, l’âge d’homme et la vieillesse
Comme le passé, le présent et l’avenir
Comme le sommeil, le rêve et l’éveil
Comme le malheur, l’espérance et l’éternité
Comme la sagesse, le voyage et la liberté.
Comme la Bretagne, ses hommes et son granit
Comme les trois jeunes matelots de retour de voyage
Comme les bourdons du bignou vraz
Comme la trinité
Comme les trois croix du calvaire
Ça y est la comptine est terminée
Setu echu eo ar rimadell
Ar tri maengizellerien (« Les trois sculpteurs ») – Acanthe, Mars 2021